641

 

LETTRES de NANY à JEAN HAUSERMANN,  1931, extraits , lettres adressées à Fédalah puis Rosario à partir de Juin 31

Pour mémoire, 1 franc de 1931 vaut environ 0,51 Euros ou 3,3 Francs de 2003 - il y a déflation de -4,6%

Paris, début 31 ??, à Jean Hausermann qui est à Fédalah, sa famille restée à Toulon

…J’ai reçu samedi soir la dépêche de Jean Cordelle, répondant à la mienne, « Jean (Hausermann) doit il toujours aller vous rejoindre ». Elle disait : «  très probablement mais pas absolument sûr  peut-il attendre dizaine de jours, pourriez voir Hébert » C’est ce que j’ai fait après lui avoir demandé rendez vous par téléphone, et voici ce qui résulte de ma conversation.

D’abord ce n’est plus Hébert mais bien Bénézeth qui s’occupera de Rosario, et il prépare un voyage pour l’Argentine. Il compte être absent 3 ou 4 mois. On a installé Chalon dans l’ancien bureau de Père, et il prendra pendant l’absence de Bénézeth la direction des travaux en général, y compris le Verdon bien entendu. …..

…..(Hébert parle)  « Je suis bien persuadé que si Gilbert Hersent veut le (Jean Hausermann) faire aller à Rosario il y arrivera parce qu’il obtient tout ce qu’il veut ». La situation de  Jean Cordelle à Rosario sera certainement avec de l’avenir, mais il n’y a rien pour le moment de décidé que 50 millions de travaux pour les voies et le quai à réparer. On doit cependant commencer les études des agrandissements. Aucun ingénieur n’est désigné jusqu’à présent, et il y a seulement un poseur de voies de parti, c’est tout. …

 Paris, 13 janvier 1931

(Les Jean Hausermann déménagent du Verdon à Toulon) … Prends ton pardessus, mais aussi ton manteau de cuir pour le voyage, et pour ici, où il pleut souvent 20h  sur 24h. J’avais d’abord pensé te demander de passer par Vierville, où je t’aurais précédé, mais je viens d’avoir un peu de bronchite, sans aucune fièvre, mais voici 8 jours que je n’ai pas mis le nez dehors, ce serai bien imprudent de  ma part de partir en voyage avec une queue de rhume. Nous abandonnerons donc l’idée de notre pèlerinage, mon Jean, ton cher Père est partout où vous êtes !…

…Le vieux tonton a repris son essor après être resté une huitaine de jours à la maison avec un peu de bronchite, il se croyait mort. Le Dr Artaud l’a secoué un peu ! Le bon homme en a quelquefois besoin….

Lundi 9 février 1931

 ….Puis j’ai eu la visite des Hébert, ….Bouchereau part à Rosario mais pas Eiche qui a refusé. Hébert prétend qu’on aurait dû t’envoyer tout de suite là bas, c’est lui qui, sur la demande de Mr Georges,  s’occupe spécialement de Rosario mais comme on (Bénézeth) essaye de lui escamoter des renseignements il a carrément mis les pieds dans le plat, s’est plaint à Marcel (Hersent) et a dit son fait à Bénézeth, qui dit-il, louvoie plus que jamais. Il paraît que si la réfection des voies à Rosario est entièrement discutée, il n’en est pas de même pour le quai A, le gouvernement en trouve les prix trop chers.
J’ai vu Mme Stévenin qui repart pour Rosario et m’a pris mes commissions. Elle m’a dit que Canale – un ingénieur Argentin très opposé au Port, même du temps de ton cher Père – vient d’être mis à la retraite d’office. C’est un succès. Barbet est plein d’espoir pour la fin des agrandissements. Mr Georges donne mardi chez lui un déjeuner aux plus anciens  employés du bureau en l’honneur de sa cravate de Commandeur, c’est un événement. Je me demande ce qu’en dit Jean Bapt. (Hersent) qui est l’aîné et avait, jusqu’à présent été récompensé toujours avant son frère.
Chalon est de plus en plus mystérieux, dit Hébert, quand il cherche à être aimable, on dirait qu’il voudrait mordre….

…Ainsi que je te le disait dans une lettre que j’espère tu auras reçue à bord (voyage de Marseille à Fédalah)je ne suis pas allée au mariage Collard (celui de Claudine Collard). Le vieux tonton s’est chargé de mes 2 boys. Il paraît que c’était très bien, la mariée très jolie, le service d’honneur en bleu pâle très réussi, et le lunch copieux. Tant mieux ! mais vraiment je ne me sentais nullement l’envie d’aller sourire à des tas de gens indifférents. Le Jean-Pierre a fort bien tenu son rôle de garçon d’honneur avec un sérieux et un à-propos imperturbable m’a-t-on dit. Cela ne m’étonne guère de lui.
Hier dimanche, la bonne Tantine, Robert et sa femme, sont venus me voir, le vieux tonton  avait emmené Jean-Pierre à la promenade, et le Philou était avec ses scouts…


Lundi matin 16 février 31  -  Paris

 J’ai bien eu des nouvelles d’elle (Simone) , datées du Riachuelo….qui ne parlait que de la vie tranquille et reposante qu’elle y mène avec les petits (le pauvre Jean n’y était pas revenu et suait sang et eau à Buenos-Aires pour la mise au point des engagements avec le gouvt.) Simone est donc bien tranquille, et mène la même vie que nous menions il y a qq 22 ans – La plage où les mène une Ford, car il n’est plus question de chevaux parait-il, et c’est dommage  -  la quinta où l’on va avec la Ford et un panier de ravitaille en fruits, adieu les cavaliers et les taras à pétrole ! …les fruits y gagnent paraît-il, je n’ai pas de peine à le croire – la pêche où l’on récolte qq douzaines de poissons pleins d’arêtes, déclarés excellents par les pêcheurs et exécrables par les parents qui s’en étranglent – les promenades le long du rio où poussent encore ces jolis capillaires et ces « flores del aire » Tout cela ce sont de vieux souvenirs que ta sœur revit et que je serais bien contente de te voir revivre avec les tiens. In cha Allah ! …

….Il est arrive un grave accident à Mr Georges Hersent qui a été traîné pendant une vingtaine de mètres par une voiture de maître. Il a eu le front ouvert, des blessures un peu partout, et sous le coup d’un ébranlement nerveux qui a laissé des inquiétudes les 1ers jours. On est maintenant à peu près rassuré. Il paraît qu’il saignait tellement que les 2 élégantes qui occupaient la voiture n’ont pas voulu qu’il monte dedans pour ne pas salir les coussins ; c’est près du chauffeur qu’on l’a casé tant bien que mal…sans commentaires. Il devait y avoir justement chez lui un grand déjeuner offert aux employés du bureau à l’occasion de sa cravate et c’était un événement car depuis la mort du vieux Mr Hersent (Hildevert H.) c’était une habitude perdue. …

…Vu aussi le vieux Flondrois, retour de Concarneau, où il a passé 1 mois 1/2 dans une maison sans feu ou à peu près car la chaudière de son calorifère a sauté le 1er jour de son arrivée, il est en fer cet homme là. Il m’en a compté de bien bonnes  sur les Hersent que je ne peux pas te dire ici. Il prétend que Georges est le meilleur et le plus franc….

Mardi  17 février 31  Paris  à Germaine Hausermann

 …..J’ai eu une lettre de Simone m’apprenant en grand secret que Jean (Hausermann) était nommé à Rosario, je l’ai envoyée immédiatement à Fédalah (où se trouve Jean H.)

…J’ai vu les bons amis Hébert…Il doit savoir que Jean est nommé à Rosario, mais on a dû lui demander le secret…

Me vieux tonton mène sa vie tranquille et notre Tantine a rajeuni depuis le mariage de Claude. J’ai eu les échos des réjouissances et des toilettes. La mariée était charmante dans sa longue robe de satin blanc avec une traîne de 4 mètres. Le service d’honneur d’un même bleu très pâle était très réussi : 3 petits couples, les fillettes en robe 1830 – taille courte, jupe longue et béguin à 3 pièces – leurs garçons d’honneur (dont Jean-Pierre cavalier de la fille de Martel le secrétaire de Clemenceau) en pantalons longs blouse 1830 bleu ciel, à volants, la ceinture nouée. Les 3 autres demoiselles d’honneur en bleu pâle également. La tantine en robe de chez Margaine - s.v.p. – resplendissait de joie.
Lunch au Lutétia de 200 personnes avec jazz et sauterie. Je n’ai pas regretté de m’être abstenue, j’avais le cœur triste. Qq. jours auparavant j’avais assisté la petite Claude à son baptême qui a eu lieu dans la chapelle d’un couvent des sœurs de l’Assomption. Cérémonie touchante, célébrée par un vieux et bon prêtre aidé et servi par la Supérieure même. Toutes les autres sœurs en prière dans leurs stalles. Claude était très recueillie, et m’a exprimé plusieurs fois sa joie d’être chrétienne. C’est une bonne et excellente enfant qui mérite le bonheur qu’elle a. Le jeune ménage voyage qq part du côté de Nice, Menton, etc..

Paris  mardi 24 février 1931

 ….Je vais en faire un semblable (un manteau raglan ,pour Jean-Paul) au gros père Yves et les 2 petits sembleront 2 frères quand ils seront ensemble. Cela fera 2 fameux camarades ! Simon m’écris qu’il est enragé ce 3ème et toujours rieur, cela sera le rigolo de la troupe….

T’ai-je dit que j’ai vu longuement le vieux Flondrois, il arrive de Stang Ar Lin où il a passé 1 mois ½ à raguer tous ses arbres et à en planter d’autres, par un froid de loup et presque sans feu dans sa grande maison, car le premier jour de son arrivée la chaudière de son calo a sauté. Quelle santé ! Je l’envie ! …

Je ne sais toujours rien de nouveau sur votre départ pour l’Argentine, c’est idiot le mystère ! Et cependant dans la dernière lettre de Simone reçue ces jours-ci, elle est persuadée que vous en êtes avisés. On doit commencer en ce moment les projets des agrandissements du port et Gilbert a confirmé à Jean votre arrivée.  Ce dernier travaille dur et ça doit être bien pénible par ces temps de canicule.  Il passe une partie de ses semaines à Buenos-Aires à discuter au ministère les dernières conventions. Simone désespérait presque de le voir prendre les qq jours de repos promis …et nécessaires.

Il fait toujours bon au Riachuelo, et Simone fait de magnifiques projets pour vous y avoir l’an prochain. Les 2 grands garçons mènent la vie libre des vacances et font leurs premiers essais d’équitation. Le gros père Yves est enragé, il prend des bains assis dans l’eau sur le bord de la plage en tapotant gaiement les vagues de ses petites mains et en filant à 4 pattes vers le large dès qu’on le quitte des yeux. Ce sera un fameux camarade pour  mon Jean-Paul. Simone fait avec délice une bonne heure de cheval chaque matin. Elle a eu de la peine à trouver une selle (elle prétend qu’on trouve plus facilement maintenant une roue de secours, les autos américaines passent partout). Je la voie d’ici sur son « recado » (selle du pays) recouvert d’une peau de mouton, tout le harnachement en cuir vert, y compris le fouet court à pommeau d’argent et à la mèche large qu’on suspend à son bras. Elle espère bien que vous l’accompagnerez l’an prochain. Voilà de beaux projets. …

 

Paris  vendredi 6 mars 1931

….Ta sœur me dit dans sa lettre du 10 février reçue ces jours ci que les affaires traînaient en longueur, comme toujours dans ce pays de « maniana » . Le malheureux Jean qui espérait prendre une dizaine de jours de congé, ne quitte pas les bureaux des ministères à B.A. Il y étouffe, on s’imagine ce que ce doit être par ces temps de canicule exagérés. Je me suis souvent demandé comment ton cher Père avait tenu le coup pendant de si longues années.

Dans sa lettre du 3 février voici ce que ta sœur m’écrivait « Dans peu de temps on commencerait les études pour les « ampliciones » notre Tony viendrait à ce moment d’après ce que Gilbert H. a dit à Jean tout dernièrement.
Dans sa lettre précédente elle faisait des projets pour l'été prochain qu’elle passerait au Riachuelo avec Maine et le baby, se réjouissait la bonne fille de votre venue. Elle prévoyait la recherche d’une maison pas trop loin de  chez eux à Rosario (les loyers ont beaucoup diminué paraît-il)  pour se voir souvent et rendre service à Maine, vous gardant le petiot pendant votre installation. Tout cela date de presque 1 mois, évidemment, mais rien ne me paraît changé, si ce n’est peut-être la date moins proche de votre départ. Enfin nous saurons bientôt ce qu’il en est et  nous agirons en conséquence. …

Simon a dû rentrer ces jours ci à Rosario…..elle fait donc du cheval (au Riachuelo) tous les matins au grand ébahissement des populations à voir passer cette « gaucha ». Elle erre dans les endroits connus de nous, tout a bien changé me dit-elle. Les boys font aussi de l’équitation et Michel a fait sa première chute – plus que 6 ! – .

Samedi midi  14 mars  1931   Paris

 

…J’ai eu hier une longue lettre de Simon datée encore du Riachuelo. Jean venait d’y arriver pour une huitaine, l’affaire étant enfin signée, les prix approuvés par Uriburu. Simon se préoccupe bien de savoir si vous venez , et si tu n’as pas quitté la maison. On va donc entrer dans la phase de réalisation. Bouchereau part, Planchon a refusé (appointements insuffisants en général, dit-elle, tous trouvent les appt. insuffisants – et elle ajoute : tant mieux !

Elle est persuadée que Bénézeth n’est au courant de rien (c’est l’impression aussi d’Hébert) et que tout ce qu’il dit est du délayage – un robinet d’eau tiède, comme dit Drillon. Elle ajoute que Gilbert a une très grosse influence sur son père, et que comme il paraît bien décidé à te faire venir, il obtiendra gain de cause. Il disait à Jean qu’il te ferait venir aussitôt que le décret de principe des agrandissements serait signé. L’affaire d’un mois environ écrivait-il le 17 février. Patiente donc un peu.

…J’ai été voir hier Mme Jean Hersent,    …. Il parait que Gilbert souffre pas mal de l’été à BA. Sans méchanceté, il n’est pas mauvais que les patrons y goûtent de temps en temps……

….Je l’ai vu hier (Gabriel Dessus) il va partir pour Athènes et venait me demander mes commissions…J’ai l’impression qu’il considère que sa belle mère devrait quitter St-Cloud, et pour cela il voudrait l’envoyer à Rosario pour y passer 6 mois….

As-tu vu la déconfiture de la banque Bouilloux-Lafont. Le frère de Mme  Marcel H est marié à la fille de  ces B. L.  On disait qu’ils avaient fait un mariage de rêve. Il n’a pas le sou ! C’est moins brillant maintenant…..

Vierville,  lundi  6 avril 1931

….Il a pourtant fait beau hier et j’ai pu aller à la messe où j’ai retrouvé ces bons de Mons et Collières venus paraît-il chaque jour ici aux nouvelles. Ce sont de braves et bonnes gens. Tous t’envoient d’affectueux souvenirs, ils ont bien pris part à nos angoisses (broncho-pneumonie de Jean-Paul à Toulon). Il en était de même à Paris de la part du vieux tonton, de tantine, des Batiffol, Cordelle, Bousquet, etc, Beaujon, Hébert. Marthe me disait qu’on téléphonait souvent et que le Dr Artaud suivait jour par jour l’évolution de la maladie de notre Jean-Paul.

Je n’ai guère eu le temps jusqu’ici de faire le tour du propriétaire, ce que j’en ai vu m’a fait plaisir. Nos gens ont bien tenu compte de ce que je t’avais chargé de leur dire, il y a de l’ordre partout, le lierre est coupé, la terre amendée les arbres plantés, les rosiers soignés, la serre bien garnie. Le brave Dagoubert a remis le moteur en état de marche, nous avons de l’eau et par conséquent le fourneau de la cuisine allumé. Notre petit coin est très habitable mais ne m’empêche pas de fourgonner du haut en bas de la maison. Avec Dagoubert j’ai examiné le moyen de poser un lavabo dans la chambre bleue, cela l’améliorera bien et c’est sans doute là que Petite Maine s’installera avec votre chéri…si vous n’êtes pas déjà en Argentine ! Aucune nouvelle de ce côté, ni de Grèce, Gaby doit être au Pirée.

A la sortie de la messe hier les Papar nous accablaient de sourires et de saluts, Emile est ici….

(Vierville) Dimanche 19 avril 1931

….Je suis coincée ici avec une bronchite attrapée je ne sais où. J’espérais pouvoir rentrer à Paris avec les boys, mais le Dr Brée s’y est opposé formellement étant donné le temps affreux et froid que nous subissons, je me suis résignée à lui obéir.  J’ai écrit au bon tonton de venir chercher les petits, ce qu’il a fait avec toute sa bonté habituelle aussitôt, il est installé rue de Longchamp où, aidé de l’abbé, de Salomé et de la femme de ménage, il se débrouille bien, m’écrit-il, et moi j’attends flanquée de la fidèle Marthe, des jours meilleurs. Je suis très bien, mange et dort, mais tant que je tousserai le docteur restera inflexible, m’a-t-il dit. Il est venu hier, reviendra mardi m’ausculter et me donnera peut-être mon exeat pour la fin de la semaine si le temps le permet. Je suis furieuse, sacrée carcasse que la mienne ! Je ne m’ennuie cependant pas dans mon petit coin douillet que tu connais. Les excursions dans la maison me sont défendues et je m’y soumet car il y fait un froid de canard dit Marthe. Depuis 3 jours il fait une forte tempête de NO, la mer est démontrée et il pleut. Evidemment voilà une température qui n’est pas recommandée aux vieilles Nanies. Je ne serai pas fâchée d’avoir repris mon rôle près des petits à Paris. Pourvu que leur santé tienne, ça ira, le brave abbé m’a déjà écrit plusieurs fois, ce n’est pas de ce côté que j’ai du souci, mais voilà qui prouve une fois de plus que les Chedal doivent songer sérieusement à rentrer puisque je ne suis même plus bonne à tenir mon rôle !…

….Sais tu de qui j’ai eu la visite ???… en mille ??…. de l’oncle Emile, parfaitement. Il m’avait écrit de Paris, me demandant rendez-vous, je lui ai répondu que j’étais ici sans pouvoir bouger, mais que s’il pouvait venir j’en serais contente. Le lendemain il était ici.  – il est reparti le soir même. J’ai été comme toi frappée de sa ressemblance avec ton cher père. C’en est impressionnant. Il y avait des moments où je n’osais pas le regarder. Il a été très affectueux, il a visité toute la maison, puis a été au cimetière où il s’est recueilli longuement m’a dit Marthe qui l’y a conduit, puis il a visité la propriété. Il a paru trouver cela fort bien, il m’a peu parlé de sa femme dont cependant j’ai dû lui demander des nouvelles….Il avait été à Nantes pour l’enterrement de M. Closier, (un frère de grand-père, Albert Hausermann s’était marié à une Caroline Closier, peut-être s’agit-il d’un parent) il paraît que cela avait beaucoup frappé grand-père qui a 88 ans et qui vit maintenant avec Marthe à qui il fait la vie très dure ce qui ne m’étonne pas. Il m’a dit que tu lui avais beaucoup plu, qu’il te reverrai dès son retour vers la fin du mois, et qu’il t’enverrai un cheval à Fédalah. …Je me demande ce que tu en ferai, mais je ne lui ai pas dit, bien entendu. Et voilà donc cette visite de faite. T’avouerai-je, mon Jean, que si elle m’a été agréable…. c’est tout ! sans plus. Un trou de 21 ans la séparait de la précédente, c’est beaucoup, et cela ne se comble pas en qq heures de bavardages. Quoiqu’il en soit, je suis contente de ce rapprochement pour vous mes enfants, plus encore pour toi mon Jean. Tu peux dire à Emile quand tu le reverras, que j’ai été touchée de son empressement à me répondre, et que j’aurai plaisir à le recevoir cet été dans ma vieille maison pimpante et soignée. Puis il vous retrouverais les uns ou les autres, il m’a promis de le faire….

Dimanche Vierville  20  avril 1931

…..Simone dans sa dernière lettre me dit que Jean a dit à Gilbert qu’il voyait bien que Paris s’opposait à ce que tu le rejoignes. Gilbert lui a répondu que c’était Georges  qui s’y opposait…   ….(il n’y a encore rien de signé pour les « ampliciones » de Rosario) . Je suis persuadée que ce n’est pas Georges qui s’y oppose….

…..Je vais très bien, le Dr Brée revenu hier sur ma demande, n’a pu que le constater et m’a donné hier son exeat ; nous quittons Vierville Marthe et moi demain matin, et c’est le brave Leterrier qui me dépose  au Molay avec la superbe conduite intérieure qu’il vient d’acheter. Je l’ai vu vendredi pour diverses choses et il me l’a offert si aimablement que je n’ai pas refusé. Je l’ai vu justement pour un pan de mur d’un de mes champs – le long de la ferme Baurens – que la pluie du mois dernier  a fait chuter sur 6m de long. J’ai donné cela à tâche (50F le m3) au père Leberruyer. Je fournis sable et chaux mais il faudra le surveiller et Leterrier me l’a promis.

Mais en voilà bien d’une autre, je ne sais ce que Robert  a écrit au Pirée en rentrant à Paris avec les enfants, et il faut croire qu’il a mis la chose au noir, car mercredi j’ai reçu une dépêche de Georges demandant des nouvelles et me disant que Suzon prenait l’Orient Express de vendredi. Je leur ai télégraphié deux fois leur disant que j’étais remise et que j’allais rentrer à Paris. Ils n’ont pas dû me croire et Suzon arrivera à Paris en même temps que moi. C’est idiot et j’en suis navrée, car ce n’est pas la peine, je me sens très vaillante et vais reprendre ma vie habituelle. Brée m’a soigné avec beaucoup d’énergie, et depuis une semaine m’a fait reprendre des piqûres très fortifiantes qui m’ont admirablement réussi. Je vois ce que ce départ a dû être pour Suzon, on n’organise pas cela en 2 jours quand on quitte la maison pour plusieurs mois. Je suis furieuse après Robert qui, pour changer, a dû avoir peur des responsabilités qui lui incombaient pour garder les garçons qq jours. Il m’écrit « j’ai écrit à Suzon de ne pas s’affoler, que ce n’était qu’une question de temps…. »  Pauvre homme ! Et il ajoute « ne t’en fais pas, Suzon ira te chercher à Vierville ». De  2 choses l’une, ou je puis rentrer et je rentre seule, ou je ne suis pas en état de le faire et je reste à Vierville.

….  Tout va bien ici, le temps se remet bien lentement au beau, et cependant les arbres prennent leurs feuilles, les poiriers sont blancs de fleurs et le bois tout émaillé de primevères et de jacinthes, quel joli coin que le nôtre !

 

Paris  mardi 5  mai   10h1/2

….Ta bonne dépêche m’est arrivée hier vers 2 heures, et nous avons été bien contentes (elle annonçait la nomination de Jean Hausermann à Rosario) , car nous supposons que cela comble tes désirs……Déjà dimanche le brave Hébert était venu pour me dire qu’il croyait bien ton affaire décidée, que Gilbert était venu relancer Bénézeth – devant lui – pour qu’on téléphone à Fédalah. B. avait bien été obligé de dire alors ce qu’il en retournait, qu’il se demandait qui on allait envoyer à Fédalah…..Il paraît aussi qu’on voulait que tu t’embarques le 20 mai avec B.  (Bénézeth ??) – et sa femme – la chose me paraissait bien précipitée et votre voyage en aurait été gâté me semble t il d’être avec les B. ….

(Paris)  samedi  6  juin  1931, adressée aux Hausermann qui arrivent à Rosario

…tes 2 cartes de Vigo et de Lisbonne, mon Jean, nous sont bien parvenues….

… Ici tout va bien et le soleil s’est mis décidément de la partie, aussi je me prépare à partir le 18 pour Vierville avec la Bison et Marthe. Nous faisons des envieux, et les boys trouvent que nous avons bien de la veine. Les pauvres gosses sont dans les compositions….

….Le bon vieux tonton est toujours fidèle, la tantine aussi, elle vient de partir avec sa vieille amie Massart, à Ouistreham et je la verrai à Vierville en juillet, avant qu’elle ne passe à Paris pour prendre Micheline et finir l’été à Cavalaire.

….revu les La Heudrie qui quittent définitivement Paris  et s’installent à Trévières, le loyer de leur appartement était monté de 14000 à 40000, il n’est du reste pas loué et personne ne le visite.

Le vieux Flondrois a déjeuné avec nous, toujours aussi vaillant. Il a l’appétit et l’entrain d’un homme de 25 ans, et si je ne m’abuse il va vers ses 68 ! Nous devons le voir cet été probablement avec les Martin qui viendront à Vierville fin août. Tu peux dire à ses enfants, mon Jean, que je suis heureuse de les avoir retrouvés….

Lettre de Nany à Simone Cordelle, (transcription intégrale)

Paris le 9 juin 1931, mardi

Ma petite Simon, voici 2 semaines que je vous écris par avion (le samedi 30 mai à vous, le samedi 6 juin aux Totony). Si cela permet d’aller plus vite, cela empêche tout de même de s’étendre, et je viens cette semaine vous faire une causette plus longue car je pense bien qu’elle passera par plusieurs mains. Je sais bien que lorsque vous la recevrez, vous aurez eu verbalement par nos chers voyageurs des détails nombreux sur ce qu’ils ont laissés en France, mais tant pis j’ai trop de bonheur à me rapprocher de vous, et c’est le seul moyen que j’en aie.

D’après nos calculs, l’escale de Rio a dû se faire samedi ou dimanche, en ce moment le Lutétia doit être à Santos ou bien près, puis ce sera le golfe de Santa Catarina - avec ses surprises - Montevideo et Buenos-Aires samedi ou dimanche. J’imagine votre impatience et votre joie à vous retrouver tous, je les partage, c’est ma seule douceur à votre éloignement, tous mes chéris, que de vous sentir bientôt réunis.

J’ai eu ta bonne lettre du 18 mai, ma petite Simon, j’y ai lu que ton Jean était las de tous ces mois de travail sans arrêt, la présence de Bénézeth ne sera pas pour lui permettre de s’arrêter, j’espère cependant que Jean pourra se reposer un peu en fuyant Rosario pour une quinzaine et que le Touny pourra l’aider efficacement dans sa lourde tâche actuelle. Tu étais enrhumée ainsi que le gros père que ses dents tourmentent, j’espère que tout est remis en ordre et que vous êtes comme les 2 boys qui eux tiennent bon. J’ai eu bien du plaisir à voir les bonnes frimousses sur les petites photos, et tu es une bonne fille de me les avoir envoyées, à l’aide de ma loupe, car mes yeux voient bien mal, j’ai deviné ma Simon sans son ombrelle, avec une coiffure tout ce qu’il y a de plus moderne, elle avait l’avantage de ne pas tenir chaud, mais j’aime mieux le coiffure d’hiver.

Ici tout va bien, grâce à la présence de votre chère grande, les jours passent sans ennuis, je lui dois d’avoir pu traverser cette pénible période du départ de vos cadets, je lui en suis bien reconnaissante, car la séparation a été dure ! Toutes les santés sont bonnes et je m’apprête à quitter Paris la semaine prochaine avec la Bison et Marthe. Les boys sont en plein dans les compositions et travaillent ferme, ils ont besoin de se reposer les pauvres gosses et les mines s’en ressentent. Heureusement l’appétit reste bon.

Suzon est aujourd’hui avec le vieil ami  Flondrois qui l’emmène voir le Salon et aussi celui des Humoristes, cela coupé par un bon déjeuner dans qq restaurant chic. J’en suis bien heureuse pour elle, car il n’est pas question pour moi d’aller parcourir toutes ces salles, au bout de 5 minutes je ne lorgne plus que les gros poufs du milieu pour m’y asseoir. Le vieux Flondrois malgré ses qq 67 ou 68 ans, est toujours aussi vert, il est connaisseur et la visite de toutes ces peintures doit être agréable avec lui.

J’ai revu un peu tous nos amis venus aux nouvelles de nos voyageurs, Mme de Fontréault, Godard, Batiffol, Navelet, de la Heudrie, J. de Mons et sa femme. Le vieux tonton vient à peu près chaque jour ; la tantine est à Ouistreham, on part, on part, et Paris est plus calme du moins dans notre quartier. Nous avons été voir Choute de  Gourcuff ; elle ne paraît pas plus fatiguée, au contraire, mais la neurasthénie de son mari paraît déteindre sur son moral et c’est bien dommage. Quelle vie mènent ces 2 êtres ! ! Cela tient du roman feuilleton. C’est de G. qui assume le rangement de la maison, la cuisine etc, depuis la mort de Francine, aussi l’ordre et la         propreté s’en ressentent. La chambre de Choute tient lieu d’asile aux 3 chiens dont 2 énormes briards aux poils longs !! …Elle reste quand même la plus délicieuse des amies. Mme Godard rayonne depuis la naissance d’un fils chez Louis. Godard a consenti à en être le parrain à condition que l’enfant entre plus tard à Polytechnique et sorte dans le corps des Ponts et Chaussées. …et l’on m’a dit cela sans l’ombre d’un sourire ! Annette est de plus en plus lancée à faire du théâtre, mais elle s’ennuie à plein

Vous ai-je dit que l’on vend ces jours-ci la collection d’Homberg, le financier richissime -  autrefois mari de la sœur aînée de Mme Navelet – suite de mauvaises spéculations. Sa banque vient d’être reprise par celle de l’Indochine et l’on dit qu’il y a un déficit sérieux. Ici comme par chez vous la situation reste mauvaise, Bousquet prétend qu’il y en a pour 1 an encore. Il s’agit de tenir le coup, il faudra bien revenir à plus de simplicité et ce ne sera pas un mal.

Je déjeune samedi à Fontenay chez les B. ( ??) , je voulais voir, lui, avant de partir à Vierville et leur dire au revoir, mais je ne m’explique pas pourquoi Suzon n’est pas conviée aussi.

Gérard Busson se remet mal de son opération, il fait de la fièvre tous les soirs, le Dr de Bonnes avait tiré la cloche d’alarme, celui d’ici n’a vu qu’une affection due à l’appendice, mais celui-ci enlevé, il ne paraît pas que rien ne soit changé, Roger s’en tourmente beaucoup, Anne le paraît moins, mais peut-être n’est ce que pour donner du courage à son mari. Bros était là ces jours-ci revenant de Cherbourg où il avait été recevoir son commandement, c’est parait-il une jolie cérémonie et il vouait y emmener Thézou qui s’est refusé à quitter Lesparre où elle compte passer une partie de l’été qu’elle finira à Bonnes. Les vieux Busson sont désolés de voir leurs enfants s’éloigner, ils se voyaient souvent. Le vieux Janssens va voir son petit-fils mais n’adresse plus la parole à ses enfants, il s’assied, reste 1h ou 1h ½ près du petit malade et s’en va. Suzon l’a vu dans cette situation qui ne laisse pas d’être assez gênante pour l’entourage, mais il n’y prend cure, quel pauvre homme !

Je prends ta lettre ma chérie, j’ai renouvelé déjà il y a quelques jours votre abonnement à l’X Information et je ferai de même pour Candide dont l’abonnement se finit au 15 juin.

Je suis contente de voir que vos grands se mettent bien  à l’ouvrage et à la gymnastique, cela leur fera les muscles ; ils ont énormément grandi, et les rondeurs du gros père leur font tort ; en voila un qui ne fait pas pitié. Je suis impatiente de savoir quel sera l’abordage entre les 2 petits et si mon Jean-Paul a retrouvé sa bonne mine d’avant sa maladie. Il était en bien bonne voie et cette cure saline aura eu je l’espère une bonne influence.
Où les cadets vont-ils s’installer ? As-tu une maison ?

J’ai admiré l’auto, on doit y être richement bien !

Ma Simon, tu ne parais avoir reçu ma lettre où je te parlais des tapis de Tunisie. J’ai eu du mal à avoir les derniers par Bousquet, ils m’ont coûté cher et ne sont pas d’un choix parfait, ils sont criards de couleur, et ne valent pas ceux du Touny. Je suis bien navrée de n’avoir pu vous en envoyer car c’est bien pratique.
Je ne sais plus si je vous ai dit que Flondrois a vu ici les Vassallo ; elle, toujours entichée d’achats naturellement. Ils ont été, m’a-t-il dit, très sévères pour M.L. St. qui se tient comme une grue, et dont on parle beaucoup trop, à ce point que Mme Vassallo lui en a fait des remontrances (le diable se faisant ermite). Quant à Z. de S. on la trouve bien peu gracieuse.

Que dit de tout cela petite Maine ; je voudrais bien savoir ce qu’elle pense de l’Argentine ? Il est vrai que c’est tellement différent en arrivant de trouver de bonnes figures souriantes à vous attendre. Je suis bien impatiente d’avoir des détails de l’arrivée qui ne va plus tarder maintenant. Au revoir mes chéris je vous embrasse bien bien fort tous, les grands et les petits pour nous 5 qui parlons bien souvent de vous, jusqu’à la Bison qui met son mot !

Votre vieille Nany     Marguerite

Je trouve que le gros père a qq chose du Jean-Paul dans le sourire, il est aussi gracieux que son petit cousin

Je ne me relis pas

Paris 15 juin 1931   2h1/2

….très aimable lettre que je viens de recevoir de Zézeth (Mme Bénézeth) – par avion datée du 4 juin – me dit avoir trouvé Simon et les 3 petiots en bonne santé, mais que Jean est fatigué. J’en suis bien navrée mais pas étonnée après le coup de collier qu’il vient de donner pendant de longs mois et en pleine chaleur, sans pouvoir dire ouf ! Je serais bien aise si la présence de Bénézeth et la tienne lui permettait d’aller se reprendre un peu qq part. Il faut de temps en temps  fuir les soucis, et je devine que ceux-ci ne manquent pas pour mettre en train un pareil travail. …

…donc Hébert m’a dit qu’on allait envoyer à Jean Cordelle un jeune central de 26 ans, charmant, allant et intelligent, pas marié. Heiche ira sans doute à Bizerte où rien ne va et où Lardy devrait bien laisser la place. Cerisier va aussi partir le 2 juillet, c’est une bonne recrue et un bon garçon, vous allez avoir là un bon entourage.

…. Demain nous avons Gaby à déjeuner. Mme Cordelle est encore à Calais pour jusqu’à la fin de la semaine…

….Vu les Beaujon….Beaujon rentrait d’Anvers, il nous a bien fait rire en nous disant qu’il avait fait comprendre très nettement à Chalon que son service était indépendant du sien et qu’il n’avait rien à y voir ; d’autre part la note des dépenses du Verdon s’allongeant terriblement, Beaujon a sur l’ordre des Hersent présenté des protestations à Chalon qui paraissait assez embarrassé. ….

Je viens de lire dans le Matin qu’un courrier part demain pour BA : c’est le moment de venir vous embrasser tous, car je pars jeudi pour Vierville avec la petite et Marthe et je prévois que les jours qui vont suivre vont être agités, je n’aurai plus le temps de vous écrire longuement. Je n’ai pas encore la nouvelle de votre arrivée, j’ai vu cependant hier Hébert et avant hier Beaujon, l’on m’a promis de me téléphoner aussitôt que la dépêche sera arrivée, nous sommes bien impatients de vous savoir bien arrivés et réunis. Je le télégraphierai aussitôt à Toulon où l’on doit être aussi impatient que nous !

….Je pars donc jeudi. Suzon suivra avec les boys dans les premiers jours de juillet

….Nous avons eu un temps splendide et même qq fois  très chaud 33° hier à l’ombre, Suzon en a profité pour emmener Nany à l’Exposition Coloniale. C’est faisable même pour les nanies, grâce aux autocars qui promène très lentement les visiteurs et s’arrêtent aux bons endroits. Nous sommes revenus enthousiasmés…et accompagnés d’un bel arabe, un tunisien, parfaitement. Il venait pour que je le paie de 2 jolis tapis de Kairouan que nous avons choisis dans les souks de Tunis (une très jolie reproduction, patinée à souhait) pour la Simon qui paraissait bien regretter de ne pas en avoir, il y en a un grand (3m60 x 1m20 je crois ) un autre plus petit, en haute laine beige , grise et brune, peu de couleurs mais bien jolis dessins à mon avis. Après beaucoup de marchandages je les ai eu pour 2000F, ce n’est pas très cher, car ils sont serrés de point. Je les ai fait expédier aussitôt, par service rapide, à Bordeaux à votre déménageur qui a dû les avoir samedi et pourra les mettre je l’espère dans votre mobilier. …

…le vieux tonton va bien, il vit comme un poisson dans l’eau

Vierville  30 juin 1931  mardi

Enfin ! mes enfants j’ai cette fois confirmation de votre bonne arrivée

…je vous voie tous les 4 , les uns à terre les autres sur le beau navire, agités par un débarquement toujours trop long…J’ai bien reçu aussi une longue lettre de Simon datée du 9 juin ; le 12 vos aînés devaient partir pour BA. Je répondrai à ma chère fille samedi par avion. J’aurais voulu vous écrire longuement aujourd’hui par avion et puis j’ai été interrompue par Mme de Mons toute éplorée par la fermeture de l’agence de la petite banque que Collières dirigeait à Alençon. Cela me console de vous voir loin en sentant que votre avenir est moins précaire. Il y a en ce moment en France beaucoup d’inquiétudes sur les affaires et le coup de Jarnac que viennent de nous lancer les Américains en faveur des boches n’est pas fait pour sourire. Je me demande ce que va devenir le Verdon, déjà en si mauvaise passe, si les boches ne donnent plus rien pendant 1 an. Chalon rit peut-être jaune et moi mauvaise, je ne le plains pas ! Mais foin de tous ces gens là ! ….

…Ici tout va bien, nous avons un temps splendide et notre vieille maison a tout son charme, elle retrouve petit à petit son aspect d’été….je pense que Suzon et les petits rejoindront samedi, les boys ont bien passé leur examen de passage, très rigoureux depuis cette gratuité obtenue par la Chambre. Voilà donc de bonnes vacances sans soucis. J’ai eu la visite de tous les Collard en auto et Tantine m’est restée qq jours. Elle est aussi agréable que facile à vivre, la petiote ne la quitte pas. A part cela le pays reste calme, sans histoires, on m’y parle de vous et je m’y attarde volontiers….
Bonnes nouvelles de Georges qui a très chaud, et du vieux tonton qui ne s’en fait pas. Il est l’heure, archi l’heure et le courrier n’attend pas. Il y a un bateau après demain…..

Vierville  11 juillet   samedi

….et je viens de lire qu’un bateau part le 14 pour BA, c’est le moment de venir bavarder avec vous pour que ce mot ne manque pas le courrier mardi à Boulogne. Tout va bien ici, Suzon est arrivée samedi avec le restant de la maisonnée, à savoir les 2 boys, Dada, et Salomé. Les 2 premiers avaient bien mauvaise mine, et il était temps qu’on arrive ici. Plus d’appétit et des joues pâlottes qui ne valent rien. Tout a changé en qq jours, on dévore.. de tout, y compris les groseilles vertes du potager (les groseilles de grand tonton !!) . Et Jean-Pierre qui toussait est à peu près débarrassé d’une sorte de coqueluche bâtarde qui affligeait, au dire du Dr une partie des petits parisiens depuis qq semaines. Nous avons il est vrai un temps splendide, à peine qq heures de pluie qui sont venues à point pour le jardin, qui se mourait de soif ; depuis c’est plus vert que jamais et les fleurs sont éclatantes. Il y a aussi beaucoup de fraises ; à l’unanimité on a abandonné l’idée des confitures pour les desserts exquis que cela nous réserve ; on se rattrapera sur les groseilles à grappes qui sont légion ainsi que les cassis dont on fera les desserts d’hiver. Les poires, les pommes couvrent les arbres, il y a aussi beaucoup de prunes, de pêches, et même de cerises mais les « ouésiaux » nous font une rude concurrence et j’ai grand peur que nous ne goûtions pas un « clafoutis ». Le vieux figuier a fait des frais, il vous attendait, petite Maine, en l’honneur de la petite méridionale que vous êtes. … Il fait bien bon dans la vieille maison qui a retrouvé tout son lustre ainsi que le jardin ses galets et sa pelouse taillée de près.

Suzon a vu à Paris l’ingénieur Cousin, ils ont longuement causé et j’ai presque l’assurance que celui ci viendra en auto des Rouen où il doit passer une partie du mois d’août.

…. Nous profitons beaucoup de ce beau temps, et très probablement nous irons lundi à Cherbourg. Je voudrais aller au cimetière, nous ferons cela dans la journée bien entendu, la Pépita gaze comme une Bugatti, nous n’aurons sans doute pas le temps d’aller relancer Bros qui a déjà pris son commandement…..

.Tantine a dû partir hier de Paris pour Cavalaire dans l’auto de Robert, via l’Auvergne. Le vieux tonton doit trouver Paris un peu vide ; il compte y rester jusqu’à l’anniversaire de notre pauvre Mara, il ira ensuite à Cherbourg puis viendra nous voir. Mme Cordelle passera une quinzaine avec nous en août, et je compte sur le vieux Flondrois et les Martin fin août. Ceux ci en tournée d’amis fileraient sur Stang Ar Lin et peut-être nous avec eux. J’avoue que pour ma part j’aimerais mieux rester ici, dès que je suis dans notre cher coin je n’ai plus envie d’en bouger….

Les Collières arrivent demain avec les petits, ce qui réjouit les nôtres. Je ne sais si je vous ai dit que l’agence de la petite banque où était Collières est fermée à Alençon, le Crédit Ind et Com.  ayant racheté la plupart des actions de cette petite société. Collières s’est trouvé presque remercié. Les pauvres de Mons étaient aux cent coups…. Mad. de Mons m’a raconté tout cela en pleurant, l’avenir est bien sombre pour eux, avec 4 enfants à élever. Jacques est ici, sa femme est à Rennes, il a une mine épouvantable. De Pierres est ici sans ses femmes, Guillemette  viendra sans doute mais pas la Marquise. Les de la Heudrie emménagent à Trévières, et les Papar ne sont pas encore là. On commence à voir des pyjamas de plage…

Vierville  23 juillet 1931  jeudi

…..Vous savez aussi bien que nous comment passent les journées ici, elles sont loin d’être inoccupées, car de ci de là nous améliorons, nettoyons, rangeons, Suzon s’excite dans la peinture, et grâce à elle maintes porte ou fenêtre un peu douteuses ont retrouvé leur fraîcheur. Je viens de recevoir un lavabo qui, posé par le brave Dagoubert dans la chambre bleue – celle des jeunes ménages -  rendra plus facile la toilette des petiots qui ont besoin de beaucoup d’eau…je fais tout cela en pensant aux vacances heureuses où j’aurai la joie de vous posséder les uns ou les autres, la bonne Suzon s’associe à mes projets….

…et comme il fait un temps splendide et chaud depuis ma dernière lettre, les bains et la plage sont à l’honneur….  Tout ce petit monde se joint aux 4 Collières chaque après midi et ce sont des jeux sans fin sur le beau sable blond.

Peu de monde d’arrivé, la crise financière influe sur toutes les bourses et l’on compte les parisiens ; ce n’est pas pour me déplaire loin de là. J’ai assisté hier au bain familial, il faisait un temps doux et ensoleillé, on était bien dans notre maisonnette, mais le sacré Gallois a avancé d’un bon cran les cabines et cela nous cache la mer du côté de la Percée. Ce vilain bonhomme n’aura de cesse qu’il borde la route de toute une rangée d’horribles cabanes. Les épis de bois qu’on pose le long du boulevard ont une fois de plus dansé la carmagnole en plus d’un endroit et c’est un fameux ouvrage à refaire si l’on veut éviter une catastrophe cet hiver. Seuls les ouvrages de Gallois tiennent et j’ai eu un peu de malice à le faire constater à l’ingénieur venu l’autre jour m’entreprendre pour que je consente à laisser entrer l’eau dans le champ de Coulmain. J’ai eu gain de cause dans cette histoire et fait constater à l’ingénieur que sa proposition ne m’apportait que des ennuis et aucun avantage, et il a dû en souriant en convenir, et nous nous sommes quittés bons amis. Il fera passer le ruisseau de la route dans des buses.

Vu les amis de Mons, de la Heudrie, Collières, à St-Sever où nous avons pris le thé, puis au Mt St-Pierre où Mme de la Heudrie se bat avec son déménagement. Le grand hall ressemble au marché aux puces, dit-elle, mais une fois toutes leurs belles tapisseries en place, leurs livres, leurs vieux meubles, et les marbres du maître de la maison, ce sera une des plus jolies installations des environs. ….rencontré de Pierres, toujours sans faux col, mais très marqué tout de même, on attend Guillemette dans une quinzaine. Revu notre curé en allant près de votre cher Père que je peux fleurir à loisir, le jardin est admirable et éclatant, roses, géraniums, calcéolaires, gueules de loup, anthémis et d’énormes dahlias sont en pleine floraison actuellement. Sans compter les superbes hortensias qui bordent la maison au Nord, et dont j’ai fait planter un massif, uns vraie boule rose. Le coup d’œil est bien joli en entrant et je ne m’en lasse jamais. Il faut croire que c’est réussi, car les Parisiens s’y arrêtent aussi volontiers.

J’ai eu Blanche Duchemin et ses enfants à déjeuner, ceux-ci sont ici jusqu’au 15 août. Pierre est très triste, le pauvre garçon a perdu jusqu’à son dernier sou – 200.000f de la dot de sa femme – et grâce à un de ses associés se trouve engagé bien au delà. C’est triste car il n’en est pas cause.

Le vieux père Lebastard a été renversé hier par l’auto de Saillard (le jardinier), sourd comme un pot et qui ne possède ni permis de conduire, ni assurance. Nous espérons tous que le brave homme s’en tirera avec de simples contusions, mais son âge, 73 ans, permet aussi de craindre pire.

…Tonton est à Paris jusqu’au 10 août, il veut passer le 6 août à Orsay, nous l’y accompagnerons en pensées, et la messe de ce jour là unira le nom de notre bonne Mara à celui de votre cher Père.

…notre petit bois – toujours bien joli celui ci, si vert et si tranquille, quantité de jeunes arbres, et les sapins du Touny derrière le kiosque, très grandis. Le nouveau pommier est vigoureux ainsi que le pawlownia sur la pelouse devant le maison ; quant aux fruits les petites mains ne se font pas faute d’en remplir les poches. Nous avons réussi des confitures de cassis et cela promet de bons « collies » . Eh bien mes bons enfants, êtes vous au courant de la vieille maison et de ses hôtes, M’y suivez-vous ? Je vous écris dans ma chambre, sur le bureau où j’ai tant de fois vu ma chère mère lire et écrire ; j’y ai groupé tous vos portraits et mes yeux vont de l’un à l’autre de mes chers absents.

Mardi  4  août  1931    Vierville

 …au moment où je vous écrit, j’espère que vos aînés auront pu mettre leur projet de l’Iguazù à exécution, sans attendre l’arrivée de votre mobilier qui n’est qu’en route et certainement pas encore arrivé. La bonne grande sœur voulait vous aider à votre installation avant de partir, en apprenant que ce n’était pas pour tout de suite, ils auront sans doute pris leurs vacances. Le grand frère ne les a pas volées, je sais par expérience combien ces qq jours de détente loin du travail, sont nécessaires après une tension d’esprit et de labeur intensif. …

…Ici tout va bien, nous avons eu de belles journées la semaine passée, mais depuis 3 jours nous  subissons une tempête de NE épouvantable, la mer est déchaînée et roule d’énormes vagues écumeuses, il fait froid, et le ciel est gris et sale comme en novembre ; le spectacle est splendide à la plage, Suzon nous y a conduites en auto, mais les pauvres gens arrivés ici le 1er août avec force bagages et beaucoup d’enfants doivent être bien mal et sont à plaindre dans leurs installations plus que sommaires. Pour nous la vieille maison  nous réserve un si chaud accueil et de multiples occupations qui nous font passer les heures sans ennui. Mme Cordelle est des nôtres depuis jeudi, c’est toujours une bonne et agréable femme bien facile à vivre . Elle nous aide en ce moment à mettre au point l’installation de la chambre de mi-étage qui avec sa garniture de rideaux de toile de Jouy va être changée du tout au tout….

Nous prenons le thé à St-Sever cette après midi, nous devons y retrouver les amis habituels avec en plus les Batiffol arrivés samedi à Ste-Honorine. Nous avons été leur souhaiter la bienvenue en revenant de Bayeux – (par une pluie diluvienne) – où j’avais été me faire soigner une dent. Heureusement mon chauffeur est des plus complaisant


Notre curé continue à mener de front la messe, le chant, le prône, la quête avec sa vigueur habituelle. Il y avait dimanche un petit bonhomme haut comme cela qui nous amusait bien. Dès que le curé se taisait, il s’écriait « Ca y est ! » et quand il recommençait « Encore !!! …»

Le père Coulmain est venu me présenter un successeur éventuel à sa location du Bois (l’herbage en face du château) , c’est un jeune homme à la figure intelligente, gros herbager…j’ai réservé mon choix ; nous avons encore 1 an 1/.2 à courir.

Le vieux père Tostain, de Bayeux, est mort, c’est une figure intéressante qui disparaît, j’ai vu sa femme et fouillé un peu chez elle, j’y ai trouvé un amusant petit livre d’un chanoine Béziers daté de 1752 qui relate des choses assez peu connues sur Bayeux et sa cathédrale. Pierre Duchemin doit me communiquer qq livres sur Maisy et les environs. Peu de lettres reçues, tout le monde est en vacances ou se repose.

2 coupures du Réveil de Cherbourg (que tonton reçoit) et qui vous intéresseront peut-être, …Pour le Homet je suis contente de lire l’arrangement qui conserve ainsi à Sauzé un emploi à Cherbourg

Vierville   19 août 1931, mercredi

 ….si je compte bien en ce moment les aînés sont à l’Iguazù avec les 2 grands garçons et vous êtes restés seuls avec mon gros père Yves que la brave Clémentine doit surveiller comme la prunelle de ses yeux. Je suis sûre que vous aurez été heureuse de faciliter ainsi le repos du grand frère accompagné de son cher trio. Ils vont revenir la tête farcie de choses nouvelles et les yeux pleins de belles visions…

….Ici tout va bien malgré un temps détestable. Que d’eau ! Que d’eau ! le ciel en déverse des tonnes sur nos têtes et cela devient inquiétant pour nos pommes de terre qui pourrissent. Les fruits grossissent, les melons deviennent superbes mais cela manque de soleil et de sucre ! Les fleurs n’en reviennent pas, il n’y a que ces grosses boules roses d’hortensias  qui, en vraies filles de Normandie, s’épanouissent largement sous ce déluge qui leur convient. … Pauvres baigneurs ! ils ne sont pas comme les hortensias eux, et ils sont lamentables en pataugeant sur les chemins, fuyant la plage inhospitalière sous des averses fréquentes. Les fortes marées du 15 août ont cependant été fructueuses, toute la maison sauf les 2 mères, est allée à la Percée munie d’appareils variés et nous sommes à la tête d’un nombre respectable de paniers de moules, de crabes, de gogins, qu’en fin de compte il faudra jeter parce qu’à en trop manger on en est un peu dégoûté. …

….L’oncle Emile, en écrivant à Bousquet pour leurs affaires de Tanger lui a dit qu’il n’irait pas en France cet été et regrettait de ne pas venir nous voir ici…

…Pépita a eu une vitre mise à mal par une carriole de paysan dont le propriétaire avait pris la poudre d’escampette. Nous étions garés près des Batiffol à Ste Honorine, à l’endroit imposé par la municipalité. Des témoins de l’accident sont heureusement venus nous prévenir et cela a été un steeple chase à la recherche du coupable. Les 4 pattes de son coursier n’ont pas tenus longtemps devant nos 6 chevaux … l’Assurance se débrouillera avec lui. Elle gaze toujours la Pépita, à part qq crevaisons de pneus (nous en sommes à nos 9000 km). C’est une brave fille. Il paraît que Renault ne fabrique plus de 6 CV ; et son nouveau modèle 11 CV, 5 bonnes places, admirablement carrossé, 10 litres au 100 km ne vaut plus que 20.000F. Il y a une grosse diminution sur les autos, et Suzon guigne fort sur cette dernière voiture sortie qu’elle espère bien que Georges achètera en rentrant.

Vierville   mercredi  2   7bre  1931

…nous avons su très vite que le grand Jean avait pu enfin s’éloigner du travail pour qq jours, ce n’était pas volé et Mr Néanmoins (Bénézeth) a mis bien des formes à mon sens pour octroyer un si mince repos ! …

…Je viens de recevoir un mot de la secrétaire de Mme Jean Hersent. La pauvre femme, elle, est au grand repos après une nouvelle hémorragie nasale qui l’a fort affaiblie, mais elle voulait m’aviser que les Gilbert s’embarquent le 8 pour BA et que si j’avais qq commissions….

je viens de quitter nos amis Martin et le « Tio Moi » en route pour la Bretagne et Stang Ar Lin dans leurs 2 splendides voitures (celle des Martin est une merveille de confort – 52 CV) . Je devais les accompagner et me faisait une joie de cette petite escapade faite dans de telles conditions d’amitié, mais mon sacré foie a cru bon de faire des siennes avant hier et j’ai cru prudent, quoique la crise ait été légère, de m’abstenir de fatigue et de froid peut-être, sans compter l’encombrement pour ces bons amis d’une moitié de patraque. Le bon Flondrois ne parle rien moins que de venir me rechercher la semaine prochaine ; et de remmener par la même occasion vos aînés avec moi.

Georges est en Savoie depuis qq jours, en effet et Suzon l’a rejoint lundi avec les boys. Elle était navrée de partir en un tel moment, mais tout s’est assez mal emmanché, les uns et les autres ont dû retarder leur voyage, elle a vu les Martin 2 jours et pas du tout Flondrois arrivé qq heures après son départ. J’ai eu plaisir à faire les honneurs de notre vieille maison, qui a eu tous les succès. Le jardin, même si abîmé par les dernières pluies, le bois, le potager, le voisinage de la mer et la maisonnette de la plage, tout a été passé en revue, mais les premiers pas ont été vers le petit cimetière……Je suis contente que les Martin connaissent enfin notre vieille maison qui a paru leur plaire, ils y ont goûté son charme tranquille (je les avais installés dans la chambre de ½ étage) Flondrois toujours dans la grande du haut.

 Nous avons bien profité de la facilité de la grande voiture pour faire de belles promenades ; mais le 1er jour Suzon avec la Pépita nous a fait faire le tour des manoirs en passant par des petits chemins inaccessibles aux grosses autos et qui ont beaucoup plu avec leurs ombrages à nos vieux amis. Le temps s’est rasséréné peu à ,peu, mais chaque soir je faisais allumer une bonne flambée de bois dans le petit salon et Martin tisonnait avec plaisir…..Nous avons visité Bayeux et sa cathédrale, été prendre le thé à Grandcamp, sur le perré, enfin été lundi jusque Cherbourg en une foulée – 1h10 pour avaler les 90 km – sans s’en apercevoir. Nous avons fait l’ascension du Roule en auto et pu jouir d’un magnifique panorama sans fatigue. Mais il fallait vraiment la puissance de la voiture pour grimper aussi allégrement une pente aussi raide sur une route aussi mauvaise avec des tournants aussi brusques. Nous avons aperçu très bien les nouveaux travaux et la digue de Jean. On est un peu inquiet parait-il  du peu de voyageurs qui partent ou qui débarquent……

…Pendant ce temps votre aînée rejoignait Georges  en Savoie….La petite est restée ici, elle a été gâtée par tous, y compris par le vieux tonton qui est ici pour une dizaine encore et se paiera ensuite une petite escapade sur Cavalaire où il doit retrouver Tantine. Il a envie de voir un peu de soleil et je le comprends, vous devez lire que c’est un nouveau déluge que notre été…

….Le mauvais temps a fait fuir les parisiens des hôtels et tout le monde se plaint ici des affaire mauvaises. Il n’y a pas qu’eux et Bousquet dont j’ai une lettre ce matin paraît préoccupé des siennes. Ce n’est pas très étonnant, il est surtout engagé dans des affaires de mines d’étain, zinc, etc.. C’est la dégringolade de ce côté là.

….Le brave Dagoubert installe un lavabo dans la chambre bleue, cela rendra ce petit coin bien habitable, quand en profiterez vous, mes bons enfants ? Je veux croire que vos aînés y viendront l’an prochain, tout ce que je fais ici n’est ce pas pour vous tous ?

Léon et Jeanne peignent les barrières, et je fais piquer la grille dont la base est fortement rouillée pour la passer au minium et la peindre ensuite. C’est un travail de patience. Le couvreur n’est pas encore venu, je piétine ! mais ce n’est pas le moment d’aller grimper sur nos toits. Le temps avance cependant, dans 1 mois nous serons presque rentrés.

….Bien dommage  que je ne puisse vous expédier un colis de poires, il y a de superbes Williams en ce moment, qu’en diraient mon François et mon Michel et leur Papa ? Ma Simon, j’espère que tu es revenue contente de ton voyage et que ta nurse a rempli tous ses devoirs pendant ton absence…..

Vierville   16  sept  1931,  mercredi

 ….3 jolies petites cartes de Simon , cependant datées de l’Iguazù ; nous avons pu admirer des magnifiques chutes d’eau incomparables…

nous avons retrouvé notre maisonnée en bon état à notre retour de Bretagne, ce qui a complété admirablement notre fugue : partis jeudi matin à 7h1/2 avec la Pépita, nous avons couvert nos 410 km en 12h avec 2 heures d’arrêt à Rennes. Charmant voyage par St-Lô, Villedieu, St-Hilaire, Fougères, Rennes, Pontivy, Rosporden et Concarneau – (pas une crevaison) –

 A 7h1/2 nous faisions notre entrée à Stang Ar Lin entre 2 belles rangées de superbes hortensias bleus et roses, et dans le parc du vieil ami, tout étonné de nous voir arriver si tôt. Nous avons été reçus de la plus affectueuse manière, et je ne saurais vous dire tout ce que comportait l’hospitalité reçue dans cette maison remplie de jolies choses et meublée avec un goût exquis.

Pour moi le maître de la maison s’était relégué au 2ème et m’avait donné sa place, une superbe chambre gothique, aux vieux damas bleus, au lit à colonnes, aux grandes armoires fouillées de sculptures et complétée d’une salle de bain du dernier bateau, avec un avant corps vitré garni de bons fauteuils. J’y découvrais Concarneau, la mer,  la petite rivière qui coule en bas de la propriété, tout cela entremêlé de la verdure sombre du parc. Les Chedal occupaient à côté de moi une délicieuse (sic) du plus pur style Louis XVI depuis le lit laqué jusqu’aux chandeliers et à la pendulette en passant par les meubles et les tentures de Jouy bleu et blanc. Tout l’ensemble de la maison est d’un goût et d’un fini admirable. Et c’est là que l’on se rend compte qu’avec l’argent il faut aussi du goût – salle de billard arabe, chambre bretonne, grande salle à manger gothique avec vitraux et plafond à caissons, mais surtout admirable salon chinois, complètement chinois, aux tentures brodées, aux meubles sculptés, aux bibelots choisis, avec de superbes tapis anciens chinois également. J’ai rarement vu un ensemble aussi complètement remarquable. Les sous-sols comportent une lingerie dernier cri, des réserves, les caves, et surtout une ravissante piscine aux mosaïques or et bleu, avec un fond de poissons rouges, qui déverse de l’eau froide ou chaude à volonté. Le jardin très pittoresquement situé le long de la rivière, dévale en pente douce. Il y a le jardin chinois avec son bassin de nénuphars, son énorme bouddha (4m de haut) sur son autel, son pavillon de repos, il y a la roseraie, le petit bois rempli d’essences très variées. Tout cela forme un ensemble charmant, et si le vieil ami a dû y dépenser beaucoup d’argent, au moins y a-t-il réussi pleinement.

Repas copieux composé d’un tas de fruits de la mer et promenades intéressantes dans ce pays breton resté si particulièrement intouché, encore tout plein de coiffes et de costumes ; et puis ce voisinage de la mer méchante et des côtes découpées. Le vendredi promenade en cotre qui tient la mer (moi j’ai tenu le coup comme un vieux loup de mer) puis retour par Concarneau et sa ville close de remparts datant de Vauban. ….Le lendemain randonnée en auto…..

….dimanche matin, malgré l’insistance de notre hôte nous reprenons à 7h1/2 le chemin de notre vieille maison – et à 6h1/2 du soir après arrêt d’une heure pour déjeuner à Rennes, nous franchissions le grille de notre chez nous…

…une dépêche nous annonce le retour de Georges pour demain, nous allons profiter de son restant de séjour pour ranger les livres de notre Mara ; tous les bibelots, linge, vaisselle, sont maintenant rangés. J’ai fait tout cela avec le vieux tonton, pendant le séjour de vos aînés en Savoie. Nous avons vidé toutes les caisses du grenier. Il ne reste plus que les livres…
…Tonton est à Cavalaire, il reviendra le 4 octobre en auto avec Robert qui a acheté un appartement à Nice, va le meubler et pense le louer facilement, en attendant d’y aller se retirer plus tard. …

Vierville    jeudi  1er  octobre 1931

…J’espère bien voir les Zézeth (Bénézeth) à leur retour de BA qui ne saurait beaucoup tarder maintenant si j’en crois la Simon. Le jeune patron (Gilbert Hersent) a succédé de bien près et le pauvre grand Jean va être encore une fois sur les boulets, quel métier ! Ce n’est pas celui de paresseux !…

….la petite bande est partie ce matin pour Paris, les classes recommencent demain, et je suis restée avec Marthe pour fermer et finir qq rangements….Touts les santés sont bonnes heureusement, y compris la mienne (je touche du bois)  l’été m’a été propice et je me sens autrement mieux qu’aux vacances de 1930…

… Les pauvres de Mons sont bien tourmentés avec les Collières ainsi que je vous l’ai dit, lui est secrétaire à Caen du Directeur de la banque. Où cela peut-il mener ? A peu de chose ; il est donc seul à Caen toute sa famille reste à Alençon où la vie est moins chère. La situation générale est du reste bien difficile en ce moment. Les Anglais boivent un bouillon monstre (que doivent dire les B. ?) les affaires en France sont très mauvaises, les banques dégringolent comme des châteaux de cartes, et les faillites sont nombreuses.

….Georges  et Marcel Hersent ont été charmants (avec Georges Chedal) et l’ont emmené déjeuner au Cercle Interallié avec le marquis de Noé, un nouvel administrateur dont le nom fait bien… mais c’est tout….

….le temps est resté magnifique et doux, bien plus doux qu’en août, aussi les fleurs si abîmées par la pluie constante ont repris un nouvel éclat et sont en abondance. Les géraniums roses et rouges, les calcéolaires jaunes, les lobélias et les agérathumes bleus, les roses même sont superbes, mais les dahlias remportent le prix avec leur splendeur, il y en a encore des  quantités…
…les poires vont être bonnes à cueillir, et déjà ce matin il en est parti un bon colis pour Paris. Les pommes sont légion, et il y en aura aussi beaucoup pour le cidre et à des prix très avantageux, puisque avec le prix habituel pour faire un tonneau de 1400 litres j’en ferai 2 en provisions. Les réparations sont finies, le toit est bien clos, les peintures aux clôtures terminées, la grande grille passée au minium attendra février pour recevoir sa couche de peinture dont elle a bien besoin ; et le maçon a revu une certaine longueur de mur comme je le fait faire tous les ans. J’entretiens du mieux que je peux la vieille maison que vous aimez mes bons enfants.

Avant de partir les boys ont fait un fort abattage de noix, il y en a des masses ; le Jean-Pierre en a profité pour se mettre les mains dans un fameux état en les épluchant ! Quel gosse !.. le Philou le regardait faire… et mangeait les noix. Le vieux Lafontaine est toujours d’actualité….

Je t’envoie mon Jean le compte rendu de la séance du conseil ici ; j’ai reparlé de ta lettre de démission à Mr de Mons, il ne veut pas encore la prendre, afin d’éviter des élections assez scabreuses….

VIERVILLE  SUR  MER  (extrait de journal)

Au Conseil Municipal. – Le Conseil Municipal s’est réuni lundi en séance extraordinaire, sous la présidence de Mr de Mons, maire.
Absents non excusés : Mr Hauzermann, Borens, Coulmain et Dubois.

Mr le maire donne connaissance d’une note du Service des Ponts et Chaussées ayant trait à la digue de protection, en construction sur le boulevard de Cauvigny.

La Commune de Vierville sur Mer participera à la subvention des travaux pour la construction d’un escalier de 2m de large, avec 12 marches en ciment armé, qui donnera accès à la plage.
Cet escalier sera construit en face la villa « Les Embruns »

Il est question de faire des escaliers identiques tous les 80 m, mais à conditions que les propriétaires riverains subventionnent ces travaux.

En cas de refus il n’y aura qu’un seul accès à la plage.

La question des nouvelles écoles a été à nouveau abordée par M. Piprel conseiller municipal.

Monsieur le Maire va se renseigner, dit-il, sur la participation de l’Etat, et cette importante affaire fera l’objet d’une nouvelle séance.

L’Office départemental des habitations à bon marché demande que le logement vacant de « Normand’Ville » soit loué au plus vite.

L’assemblée décide que les barrières « Belliard » du boulevard de Cauvigny resteront en place. Elle ne veut pas en assumer la démolition.

Poiriers en fleurs !… - Le bienfaisant Gulf Stream aurait-il délaissé les côtes dinardaises, au bénéfice de Vierville-sur-Mer ? Nous ne le pensons pas mais néanmoins, il nous a été permis d’admirer – pour la saison – de superbes poiriers en fleurs dans les jardins du Casino Piprel, ainsi que chez Mr Chatte, receveur buraliste.

Accident du travail. – Vendredi soir, à 19h50, le « Satos » faisant le service de Vierville-sur-Mer à Le Molay-Littry, conduit par le chauffeur Decussy, rencontra, au tournant dangereux et très étroit de Saint-Laurent, le « Satos » qui fait le service de Bayeux à Vierville-sur-Mer et qui était conduit par le chauffeur Mauray.

M. Decussy n’hésita pas, par un magistral coup de frein, à déporter son formidable engin afin d’éviter une catastrophe. Par la suite on fit appel au service de dépannage des chemins de fer du Calvados de la gare du Molay-Littry.

Au cours des travaux de relèvement, le chauffeur Decussy fut grièvement blessé à l’arcade sourcilière, mais n’en continua pas moins son service.
Nous espérons que cet accident n’aura pas de graves conséquences et nous souhaitons au blessé une prompte et complète guérison.

Tu verras dans l’article de journal qu’on a commencé à l’essai 150m de digue sur le boulevard de Cauvigny ; on a repris l’idée de Père, on enfonce des pieux en ciment en affouillant avec de l’eau et après on  fait un revêtement en ciment. Les frais sont faits par l’Etat, entièrement. Celui-ci cependant serre la vis, la jetée perpendiculaire au Homet qu’on devait entreprendre est abandonnée et le port de Cherbourg est du reste dans le marasme, on a désarmé 4 transbordeurs, les voyageurs se faisant de plus en plus rares ; je crois la Ch. de Commerce fort embarrassée avec les gros frais qu’elle a fait, la gare maritime est immense …et bien laide, elle écrase tout. Je n’en féliciterai ni Chalon, ni Levavasseur….

………Vendredi  (2 octobre 1931)

J’ai rouvert ma lettre, mes bons enfants, car je viens de recevoir votre lettre du 7 septembre accompagnée de bien charmantes photos….

…je viens de lire qu’il a neigé à Reims ! Est-ce possible ?…

Paris   mercredi  14  oct. 1931

…..J’ai lu dans le Temps que la SPR  (Société du Port du Rosario) avait présenté au Gouv. Argentin un projet d’agrandissement du port se montant à 250 millions. On soulignait pour une fois que c’était une entreprise française. Cela corrobore bien avec ce que nous avait dit Flondrois et Beaujon que nous avons vus la semaine passée. Gilbert doit être arrivé et Bénézeth pas parti, je suppose, malgré son désir ; d’après Beaujon, Gilbert n’était pas satisfait d’apprendre qu’il avait fait le projet de partir sans l’attendre. Et que pensez vous du résultat de cette présentation ?Y a-t-il qq espoir de réussite ? Et les travaux actuels, mon Jean, est ce que cela marche comme tu le désires ?…

….ma semaine avait été empoisonnée par une sacré dent que je me suis résolue à faire enlever mais non sans qq accroc……C’était bien mal tombé…..la bonne grande sœur, en plus de ses affaires personnelles voulait laisser celles des boys tout à fait au point et même celles de sa vieille maman pour que je n’ai plus rien à faire. Entre temps elle a trouvé le moyen de me faire une robe plus qu’aux ¾ et rafistoler mes chapeaux d’hiver. Elle est partie lundi soir par l’Orient Express avec la petiote et la Dada….

….Tonton est revenu dimanche  avec tous les Collard, ravi de son séjour à Cavalaire, de son voyage, et tellement content de votre ciel bleu qu’il a l’intention de repartir en mars et avril pour Nice.. Bravo !

….Suzon avant son départ a voulu me faire connaître le nouveau Cinéma Gaumont – place Clichy – et m’y a emmené samedi dans l’après midi. C’est, dit-on, le plus grand cinéma du monde, je n’ai pas de peine à le croire, il y a 6000 places, et si ingénieusement disposées, que la salle parait nue ; c’est d’une hauteur de cathédrale, avec un éclairage moderne qui ne blesse pas. Cinéma parlant, bien entendu, avec orchestre mécanique – mais entre temps excellent orchestre à cordes de 200 exécutants et des meilleurs morceaux d’orgue et surtout ballets gracieux et frais, dignes d’un Opéra, tout cela pour la modique somme – en semaine – de 10F par fauteuil d’orchestre (15F le dimanche). Cela ne ressemble en rien avec ce qui a été fait jusque ici à Paris, et cela a beaucoup de succès. Le moindre fauteuil de cinéma de quartier coûte 15 à 20F ; au Paramount et Cie, c’est 25F.

La vie tend à baisser du reste, le beurre a fléchi sérieusement, idem les œufs, la viande sur pied a baissé de moitié et j’espère que nous en ressentirons les bienfaits d’ici peu. Les affaires sont toujours mauvaises, du reste, et la situation politique internationale trop troublée pour que la situation financière se remonte. On est tant soit peu inquiet de l’hiver et du chômage qui se prépare. Je crois que pour beaucoup de gens il faudra revenir à une conception plus simple de la vie journalière. Vous êtes bienheureux, mes chéris, d’échapper à ces préoccupations, si pénibles lorsque l’on a une famille…

…J’ai envoyé à mes 2 filles un paquet de catalogues, j’en ai reçu d’autres assez jolis comme présentation que je leur envoie encore cette semaine. Elles y verront la tendance de la mode qui a surtout bien changé pour la tête. Toutes les parisiennes sont avec des petits chapeaux insensés – qui leurs vont très bien, on aperçoit largement les cheveux et le chignon que l’on place très bas, sur la nuque, comme sous le 2ème Empire. La calotte des chapeaux est microscopique, plate, assez large mais à peine haute…

…Le vieux Flondrois a dû partir hier pour Lausanne, où il va retrouver les Martin. Vous ai-je dit que Mme Martin n’a eu de cesse d’acheter une cruche à lait. J’en  suis dépositaire jusqu’à leur départ pour BA. Ils nous ont promis de revenir un peu ici cet hiver…

Je commence à recevoir les paniers de poires….il y a encore des louises-bonnes qui feraient venir l’eau à la bouche du grand Jean. Le petit pommier derrière les châssis, haut à peine d’un mètre, est couvert de tant de ces pommes rouges de Calville qu’il en est comme flambant. Je suis sûre qu’il y en a plus de 10 kilos – et il est haut comme une botte !

Le pommier des petits, planté cet hiver est de bonne venue (ainsi du reste que le pawlownia sur la pelouse devant la maison) j’ai l’intention d’en replanter 2 autres au même endroit ; dites le à mes petits, car ce seront leurs arbres à eux.

Paris    28  octobre  1931  -  Mercredi

 ….il n’y avait que ce pauvre grand Jean qui mettait les bouchées triples pour terminer le projet des nouveaux travaux au plus vite. Je sais par le Temps que la remise en a été faite au gouvt argentin, c’est déjà qq chose mais ce n’est pas tout, il va falloir discuter et comment !! Je me rappelle ce que cela était autrefois, et cela ne doit pas avoir beaucoup changé. Je voudrais bien que tout cet effort ne soit pas inutile et que les travaux soient accordés pour la plus grande gloire, d’abord, de ceux qui les auront mis sur pied.

…un refroidissement très brusque de température, il gèle chaque matin, mais par un temps clair et ensoleillé qui continue un bel automne. Nous nous chauffions plutôt mal que bien avec des poêles mais le propriétaire a eu pour la 1ère fois depuis 20 ans que je suis ici, le geste généreux d’allumer le calorifère pour le seul plaisir d’être agréable à ses locataires. Que le Bon Dieu le bénisse. Nous pouvons donc circuler dans tout l’appartement sans être emmitouflés de châles.

…..J’ai vu Mme Cordelle qui vit dans une maison sens dessus dessous. Gaby doit rentrer vers le 20 nov. et se mariera vers Noël. Mme Cordelle quittera St-Cloud dans les premiers jours de Noël….

….Une heure de musique chez Tantine samedi, la 7ème symphonie de Beethoven et un peu de St-Saens, de quoi se délecter l’âme et le cœur. Avec les petits,

 dimanche, une bonne promenade au bois que nous avons traversé d’un bout à l’autre jusqu’à St-Cloud pour revenir en tramway. Promenade exquise le long du nouveau boulevard qui a remplacé les fortifications, tout bordé d’hôtels charmants et de beaux immeubles aux jardins en terrasse. Vous trouverez cela bien changé. La rue de Longchamp communique maintenant en droite ligne avec le bois et se termine par un joli jardin aux vertes pelouses que nous apercevons de nos fenêtres. La plupart de ces belles maisons sont vides de locataires, par exemple c’est un fiasco complet pour les sociétés d’immeubles qui n’avaient construit que pour des milliardaires notre arrondissement  regorge d’appartements à louer.

….Dimanche c’est la Toussaint, je n’irai pas à Vierville malgré tout ce qu’il m’en coûtera….j’irai aux divers cimetières ici…Il fait trop froid pour que je me hasarde dans la vieille maison froide. Les jours qui viennent vont être pénibles, je ne pourrai même peut-être pas aller à Orsay, le vieux tonton me remplacera….

Paris   mercredi  11  novembre  (1931)

 

….Beaujon m’a téléphoné l’autre jour…que Gilbert Hersent revenait sans attendre, mais ne sait toujours rien des Bénézeth, moi j’espère que tout ce monde là est parti et que le grand Jean est ainsi tranquille…

…le temps est moins beau, et il a plu, mais il ne fait toujours pas froid et le calorifère chauffe trop. Toutes les bouches sont fermées.

…J’ai eu hier à déjeuner le vieil ami Flondrois avec Bousquet…..Flondrois était à moitié grippé, mais il soigne cela à sa manière, avec du bon vin et un bon verre d’Armagnac ! Il faut reconnaître que jusqu’ici cela lui a très bien réussi.

…Si le temps continue, je pense aller passer 2  jours à Vierville la semaine prochaine, sans prévenir, Je n’ai pas toujours mes bonshommes en mains, cela leur fera peut-être du bien de penser que je puis leur tomber sur le dos sans crier gare.

…. Les affaires sont toujours bien mauvaises, les faillites se succèdent. La Banque Nationale de Crédit a déposé son bilan et vient d’être remontée par le Crédit Industriel et Commercial et le Crédit Foncier. La vie tend vraiment à baisser ; le chômage augmente. Tous les grands magasins et les usines renvoient du personnel. Jean Bousquet est très ennuyé, sa maison perd de l’argent tous les jours. Mr Bousquet a été fermer les mines que sa société a en Tunisie ! Vous êtes mieux à Rosario !

…..Le vieux tonton est moins entrain. Quand il est bien il se croit encore à 20 ans ! Il vous embrasse tous, et maintenant il se croit un petit peu mort !

Paris   25  novembre  1931   -  mercredi

 ….Jean partait le 11 novembre de BA pour Colonia, où il allait voir, me disait-il, l’installation pour l’été. Lorsque cette lettre vous arrivera, vous ne tarderez pas à vous rendre au Riachuelo….Quelle chance que vos frère et sœur puissent vous donner asile ! C’est mieux qu’un diamant ce coin d’Uruguay qui vous permet de passer un bon été. Malheureusement les pauvres papas ne pourront pas s’éloigner aussi facilement que femmes et enfants. Je le regrette bien pour eux. Mme Gilbert Hersent me disait qu’elle avait visité les travaux et que cela allait très bien. On attendait que le rio baisse. Gilbert avait obtenu qq chose d’avantageux pour la société et espérait bien enlever les travaux dans 6 mois…

Mes bons enfants, j’ai eu de bonnes nouvelles de votre petite colonie par notre Simon qui a pris le temps de  m’écrire à Buenos Aires en allant conduire les Gilbert Hersent ; puis par une bonne lettre avion – reçue hier – du grand Jean, datée du 11 novembre, et enfin par Mme Gilbert Hersent qui m’a téléphoné pour venir me voir, et me parler de vous, et comme j’avais très envie de voir Mme Jean (Hersent) je lui ait répondu que c’est moi qui me dérangerait, et ¼ d’heure après j’étais place Malesherbes, parlant de vous entre la mère et la fille….vous aviez chaud me disait-elle, mais la lettre de Jean me disait qu’en s’éveillant le matin, il constatait 5° au therm. Diable de pays ! et vous ferez bien tous de vous méfier. Il n’y a rien de plus traître que ces variations de température, pour le foie et les intestins fragiles. ..

 

…Je viens d’apprendre ce matin la mort de notre vieux Père Coulmain – 78 ans – Je viens d’écrire à sa femme qui résistera mal, je le crains, à une si dure épreuve. Tu feras bien d’envoyer qq mots, mon Jean, à Longueville (Calvados) n’oublie pas, si Simone envoie qq chose, il faudrait qu’elle mette sous son nom  de Cordelle née Simone Hausermann.

…Le vieux tonton va bien, nous sommes allés avec lui  jeudi voir les Arènes découvertes il y a qq 20 ans en ouvrant la rue Monge. C’est imposant mais un peu trop restauré à mon sens…

…Pas revu Tantine qui se débat avec des ouvriers, il a plu tout cet été dans tout son appartement ; elle a tous les corps de métier et Dieu sait quel aria ! J’en sais qq chose, je n’ai pas encore réintégré ma chambre depuis qu’on a réparé ma cheminée. Tout se fait par petites doses.

Il y a des masses d’appartements à louer, il y en a 2 dans la maison et 5 à côté, cette maison appartient  du reste depuis qq mois à notre propriétaire. Le rez de chaussée en face de nous est aussi à louer ; c’était toujours habité par le même sud-américain. Les faillites se succèdent et  plus d’une des jolies boutiques de l’avenue V. Hugo se ferment avec une affiche à l’étalage vide : « Bail à céder ». Les Grands Magasins se préparent cependant aux fêtes de Noël ; et l’on annonce des représentations, des étalages mécaniques ; les boys s’en promettent. 

 

Paris   mercredi  2 décembre 1931

….Merci d’avoir eu la bonne idée d’agrandir ces photos et de les avoir annotées, j’ai pu ainsi comprendre tout de suite. Je les montrerai au « tio mio ». Pour le moment il est en Bretagne avec Bousquet pour qq jours. Tous deux, en bons amis fidèles m’ont avisée, comme ils le font toujours du reste, de leur déplacement, pour que je sache, sans aucun doute où les trouver en cas de besoin.

…Je pars demain pour Vierville, je rentrerai samedi, j’ai besoin d’aller voir ce que font nos gens, il ya de vilaines  habitudes prises qu’il convient de ne pas laisser enraciner.

Paris   16 Xbre 1931   mercredi

…Paris s’affaire un peu plus en ce moment les magasins se font coquets et tentateurs, avec une baisse de prix réelle, on revoit des cadeaux à 5F à 10F à 20F, cela ne se voyait plus. Les magasins ne sont pas pour cela bondés d’acheteurs…

…vendredi la bonne Tantine à déjeuner et 2 heures de bonne musique à 4 mains. Toute une symphonie de Mendelssohn et la symphonie héroïque de Beethoven. Elle est extraordinaire cette Tantine avec ses 80 ans souriants et aimables ; sans compter que ses doigts n’ont rien perdu de leur virtuosité. Elle avait été 2 fois au théâtre dans la semaine. J’ai eu Mme Cordelle à déjeuner dimanche et nous avons fini l’après midi au Trocadéro où la Comédie Française jouait le Passant et le Misanthrope avec le talent habituel. Mme Cordelle a quitté St-Cloud  vendredi. Gaby s’est marié hier en toute simplicité bien entendu avec ses seuls parents et ceux de sa femme. J’ai fait envoyer une belle azalée avec les « pensées et vœux de tous les amis absents et ceux de leur vielle maman ». Je n’oublie pas l’aide fraternelle que Gaby t’a donné , mon Jean, au moment où tu en avais besoin…

…Avez-vous su qu’Emile Roullier  a été nommé ingr des Pts et Ch. à Cherbourg. Il y cherche une maison agréable pour y installer femme et 4 enfants. C’est dommage que vous ne soyez pas là  les uns ou les autres. Il s’occupe des travaux du port. La maison Hersent ne paraît pas en avoir attrapé une bribe et pourtant on en a donné pour 80 millions à faire il y a peu de temps, mais de gré à gré  à des entrepreneurs installés. C’était bien à cela que visait toujours votre cher Père en s’installant qq part, mais Bénézeth n’a pas la largeur de vues nécessaire pour prévoir plus loin que le bout de son nez…

Paris  mercredi matin  19 décembre 1931   (adressée aux Cordelle et aux Hausermann)

…Vous êtes vous décidés, ma Simon à acheter le Pathé Baby ? Je voudrais pourtant que mes 4 garçons aient qq chose de la rue de Longchamp dans leur soulier….

Paris   30  Xbre 1931   mercredi

 ….J’espère que mon François a pu envoyer promener son plâtrage et que lorsque cette lettre vous arrivera la jeune bande s’ébattra sans ennuis sur la plage ou dans le jardin…

…D’après les renseignements fournis dans la lettre avion du grand Jean, je vois que le Riachuelo est plein de commodités auxquelles nous n’étions guère habitués il y a qq 20 ans, et c’est fort bien. Quelle bénédiction que ce petit coin là ! Avez vous trouvé des chevaux ? et repris le chemin de la plage avec la tente ?

…veux-tu dire à grand Jean que j’ai pu remettre à Mme Cordelle  la somme intégrale qu’il m’avait désignée car son compte en banque a  été suffisamment grossi par le remboursement d’obligations amorties….

….Marcel Hersent a quitté Athènes sans avoir pu décrocher le moindre petit millions de travaux, et  a donné l’ordre de liquider rapidement le Pirée.
….il n’y a aucun travail en vue, les 5 projets présentés cet été  - à part Brest qui n’est pas encore donné -  ont claqué dans la main. Le port de Porto sur lequel on comptait beaucoup a été donné d’une part à un Hollandais, d’autre part à un Allemand. Les Hersent venaient fort loin…. Cela ne les a pas empêché de perdre 1.200.000 F sur le cautionnement obligatoire qui avait été versé la veille même de la dégringolade de la livre. Georges Hersent était furieux, paraît-il de cet avatar. Reste donc l’espoir de Brest, on a aussi soumissionné à un petit travail (4 ou 5 millions)  à Cherbourg ces jours ci, je n’en connais pas le résultat. Ce n’est pas brillant pour la maison et Marcel qui est pessimiste en diable ne parle rien moins que de fermer boutique. Il peut bien faire son mea culpa celui-là. Tous ces détails m’ont été donnés par Hébert dimanche, j’avais été les voir, et les ai emmenés prendre le thé dans une pâtisserie pour les changer un peu. Ce sont de bons amis et avec eux j’ai longuement parlé de vous tous, mes chéris.

avec les petits et tonton nous avons été voir tantine, elle était avec sa petite Micheline, c’était la veille de Noël et les parents allaient partir avec le jeune ménage de Claude faire le réveillon dans une belle propriété de la Brie chez un bon peintre qui réunissait un grand nombre d’amis dont beaucoup d’artistes et d’écrivains (cela a été brillant, m’a-t-on dit). Pour nous consoler de ne pas en être, j’ai emmené tout le monde prendre le thé au Bon Marché qui a la spécialité de gâteaux énormes, d’éclairs mesurés au mètre, ce qui réjouit fort les jeunes appétits. Fort peu de monde dans les magasins et même autour de ces vitrines où l’ingéniosité parisienne réalise des merveilles…

Retour accueil